Groupe LA COMMUNE FEDERATION ANARCHISTE Rennes
1914-1918
A
la veille de la guerre, les anarchistes pressentant l’imminence de leur
arrestation, se réunissent en comité secret. Ils sont tous inscrits au Carnet B
et ils savent qu’en cas de mobilisation ils seront arrêtés. Le 29 juillet, au
cours d’une réunion secrète qui a pour but d’empêcher les arrestations
préventives, Jules Le Gall déclare que lui et ses compagnons n’iront pas à la
guerre mais qu’il prendra ses dispositions pour quitter Brest avec ses amis et
former une bande qui mettra à exécution les principes de reprise individuelle.
Le 1er août, les principaux militants révolutionnaires
disparaissent. Ils ne reviendront qu’après avoir acquis la certitude de ne pas
être inquiétés et mis en état d’arrestation.
La Jeunesse Syndicaliste
rompt en mai 1915 avec la Bourse du Travail, coupable d’avoir participé à une
souscription patriotique.
1920
Edification de la Maison
du Peuple à Brest. Tous les anarchistes brestois y sont alors membres. Ils ont
une forte influence dans le conseil d’administration. Victor Pengam ne pourra
pas y participer, il meurt le 3 mars 1920. 15 000 personnes assistèrent aux
obsèques civiles montrant ainsi en quelle estime il était tenu.
L’antifascisme
La menace fasciste est
perçue dans les années 20 essentiellement comme un danger à l’égard de la
classe ouvrière. Visant surtout des groupes réactionnaires volontiers qualifiés
de fascistes comme l’Action Française, la Jeunesse Patriote. , le discours
antifasciste notamment anarchiste contribue à réaliser ponctuellement l’unité ouvrière.
Une manifestation organisée à l’initiative de la Fédération Ouvrière et
Paysanne des Mutilés et des Syndicats Confédérés et Unitaires, en réaction à
une réunion d’un groupe de la Jeunesse Patriote, rassemble 10000 personnes le
20 novembre 1922.
Une autre manifestation
a lieu à Rennes le 25 septembre 1923 pour protester contre la tenue d’une
réunion organisée par Eugène Delahaye, directeur du Nouvelliste de Bretagne. A l’appel des syndicats confédérés et
unitaires, un cortège se rend aux Lices pour un meeting de protestation. Les
mots d’ordre de cette manifestation sont sans équivoque : « Tous
debout pour empêcher sous toutes ses formes, toute manifestation en faveur du
fascisme ! Tous debout pour empêcher le fascisme de nous ravir le fruit de
nos revendications salariales ! »
Campagne pour l’amnistie
Dans cette même période,
les anarchistes mènent une campagne pour l’amnistie, réclamée pour les
condamnés du conseil de guerre, pour les cheminots grévistes de 1920, pour les
fonctionnaires révoqués pour fait de grève ou pour constitution de syndicat,
pour les mutins de la mer Noire, pour les insoumis du dernier conflit mondial,
pour les auteurs de violence politique. A Rennes, Jeanne Morand, anarchiste
antimilitariste, est condamnée en mai 1922 par le conseil de guerre de Bordeaux
à 5 ans pour agitation antimilitariste durant la guerre 14-18. Incarcérée à la
prison des femmes à Rennes, elle bénéficiera d’un large soutien de la part des
libertaires. Quemerais résume ainsi son sentiment, dans Le Syndicaliste de l’Ouest : « Nous ne pouvons pas
comprendre que des voleurs, des banquiers, des officiers, soutenant tous le
capitalisme et le régime actuel, soient mis en liberté pendant que des milliers
des nôtres meurent pour avoir obéi à leur conscience et souffert trop
longtemps. »
L’antimilitarisme
Au lendemain de la
boucherie de la première guerre mondiale, l’antimilitarisme constitue un volet
important du discours anarchiste. Pour les anarchistes, le vrai visage de la
guerre, ce sont les souvenirs des champs de bataille, les massacres, les
mutilés, les prétendus héros qui ne sont que des tueurs.
La critique du
militarisme s’articule autour des deux fonctions de l’armée :
-L’armée au service du capitalisme qui provoque les guerres
et en tire profit.
-La critique du patriotisme, sentiment sectaire, fanatique et
dangereux.
Au début des années
1920, la Jeunesse Syndicaliste Brestoise, anarchiste, développe une campagne
active contre la conscription. Le Cri des
Jeunes Syndicalistes publie régulièrement des articles sur ce sujet. Des tracts
sont distribués, et collés sur les murs de la ville. Cette propagande est
particulièrement surveillée par les autorités.
Le syndicalisme
Les rapports entre
anarchistes et communistes évoluent, une clarification devient nécessaire.
C’est une période d’affrontement qui s’ouvre, où la polémique est souvent de
mise. Peu à peu les rapports s’enveniment et débouchent sur une rupture
définitive entre anarchistes et communistes. Deux faits parmi d’autres sont à
l’origine de ce divorce :
Le 11 janvier 1924, lors du meeting parisien de la
Grange-aux-Belles, deux anarchistes tombent sous les balles du service d’ordre
communiste.
A Rennes, le 6 avril de la même année, Quemerais, animateur
de la tendance libertaire de la CGTU, se voit menacé de mort par le secrétaire
des commissions syndicales lors d’une de ses permanences syndicales.
La situation est alors
très tendue. On lit dans le Libertaire ceci : « Les fascistes rouges
rennais, assassins ou apprentis assassins, ça se prétend mûr pour une
révolution apportant aux travailleurs plus de bien-être et de liberté !
Dictature du revolver, tyrannie impitoyable, férule barbare, voilà bien où
essaient de nous mener ces admirateurs du despotisme bolchéviste ! »
1925
La police surveille les
réunions publiques et quelquefois le dispositif est imposant. Notamment le
samedi 27 juin 1925 lors d’un meeting contre la guerre du Maroc organisé par
différents syndicats (meeting où l’anarchiste René Martin représente la Bourse
du Travail Autonome dont il est le secrétaire),où l’on compte six agents de la
Sûreté et un commissaire assistant à la réunion ; autour de la Maison du
Peuple, un commissaire, quatre agents de la Sûreté et deux agents
cyclistes ; Place de la Liberté et Place des Portes, un commissaire et
quarante gendarmes, plus cinq en bas de la rue Jean Jaurès, dix agents en
tenue, deux agents de la Sûreté et un agent cycliste ; entre la Place des
Portes et la Place Fautras : quatre gendarmes à cheval, un commissaire,
dix agents en tenue, cinq gendarmes, deux agents de la Sûreté, un agent
cycliste et un détachement de troupe. Devant le siège de la Dépêche de Brest,
sont postés cinq gendarmes, deux agents de la sûreté, un agent cycliste et plus
loin un commissaire, huit agents en tenue et cinq gendarmes. Porte Fautras
enfin, on trouve un autre commissaire, vingt gendarmes et dix agents en tenue.
Les publications
anarchistes aussi subissent l’étroite surveillance des services de police qui
guettent le moindre écart permettant la mise en application des lois scélérates
(lois renforçant les délits de presse et élaborées entre 1892 et 1894).
L’attention de la police se porte particulièrement sur la propagande
antimilitariste où les anarchistes sont très présents et donc exposés aux
mesures judiciaires comme les perquisitions.
Les 1er, 2 et
7 juillet 1925, des descentes de police sont effectuées à la Maison du Peuple
et chez différents anarchistes et communistes. Le 1er juillet, 1000
exemplaires de La Bataille Syndicaliste
sont saisis à la gare de Brest, ils étaient adressés au secrétaire du syndicat
autonome de Brest, l’anarcho-syndicaliste René Martin, et contenaient des
appels à l’insurrection engageant les soldats à prendre le contrôle des
casernes. Les 2 et 7 juillet, de nouvelles perquisitions sont effectuées au
secrétariat du bureau autonome de la Maison du Peuple : 800 numéros de La Bataille Syndicaliste sont saisis.
Chez l’anarchiste Tréguier, gérant de la Maison du Peuple, la police en
découvre 50. Au domicile de René Martin, ils saisissent de nombreux tracts,
journaux et affiches incitant les marins à la désobéissance et à la
fraternisation. La police saisit 2 700 publications.
Joseph Chapin crée le
Comité Rennais de Libre Pensée et d’Action Sociale.
1926
L’affaire Sacco et
Vanzetti couvre une période qui s’étend de 1920 à 1927. Plus ponctuellement,
elle suscite des réactions, à l’annonce de la condamnation à mort (1921) puis à
celle de l’exécution des deux condamnés (1926-1927). La répercussion des
campagnes lancées au niveau national est sensible en Bretagne, là où existe un
fort mouvement ouvrier, notamment à Rennes et à Brest.
Le 19 octobre 1921, le
Comité Sacco et Vanzetti, issu du Comité de Défense Sociale, organise à Brest
un meeting de solidarité. Jules Le Gall et Fister de l’Union Anarchiste, de
Paris, y prennent la parole. La réunion terminée, un cortège se forme et se
dirige vers le consulat des Etats-Unis dont les vitres sont brisées à coup de
pierre.
A Rennes le 4 juin 1926,
les anarchistes du Comité de Libre Pensée et d’Action Sociale prennent
l’initiative d’un meeting aux Lices, en faveur de Sacco et Vanzetti. Les
organisations syndicales y sont invitées.
La mobilisation s’avère
être plus importante à Brest qu’à Rennes, le mouvement est impulsé par des
anarchistes locaux. De nombreux meetings sont organisés jusqu’à l’exécution des
deux condamnés.
1927
Première publication du Flambeau, « organe mensuel de libre
pensée, d’action sociale et de combat de l’Ouest contre le militarisme et la
religion ». Ce journal, édité à Brest, est administré par Roger Martin et
Jean Tréguier. Les articles publiés sont pour la plupart écrits par des
anarchistes : Gourmelon, Martin, Tréguier, Soubigou, Goavec. Le journal
reçoit des textes de correspondants de Trélazé, de Rennes (Chapin),
Saint-Nazaire (Gerbaud) et même de Lyon. Ce journal est mensuel et est édité
par l’Imprimerie Populaire rue Pasteur à Brest. On sait que le numéro 3
comptait 100 abonnés, en décembre de cette même année, il est tiré à 3500
exemplaires. En décembre 1928 il comptabilise 300 abonnés. Il est vendu
jusqu’au Mans. Avec Le Flambeau, les
libertaires possèdent un journal spécifiquement anarchiste. Ce nouveau titre
marque un progrès de la propagande anarchiste dans la région. Il cessa de
paraître en 1934.
28 juin 1927
Joseph
Chapin, anarchiste rennais qui édite L’Etincelle,
organe du Comité Rennais de Libre Pensée et d’Action Sociale, comparaît en
justice pour provocation au meurtre et apologie des faits qualifiés de crime
suite à un discours qu’il a prononcé à la Maison du Peuple à Brest le 14 mai en
faveur de Sacco et Vanzetti . Une campagne de soutien en sa faveur commence
dans le Flambeau en juillet 1927.
A
sa sortie de prison en septembre, il reprend de plus belle sa propagande
anticléricale. En octobre de cette même année il est à nouveau jugé pour
outrage à magistrat, après avoir écrit en juillet une lettre de protestation
sur ses conditions de détention au Bouguen.
Le 8 août 1927, un
meeting présidé par Jules Le Gall au cœur de la campagne en faveur de Sacco et
Vanzetti attire quelque 2000 personnes à Brest.
1928
L’éducation est un
terrain de lutte important pour les libertaires, ainsi en décembre 1928, on
peut lire dans Le Flambeau un
commentaire sur l’école traditionnelle, laïque ou catholique : « sous
une étiquette différente, ces deux écoles enseignent une morale qui tend à
l’asservissement. Si la première est plus brutale, la deuxième n’en est pas
moins efficace. L’enfant n’appartient à aucune école, il s’appartient d’abord à
lui-même » et plus loin « il y a mieux que ces deux morales qui vous
donneront des esclaves et des arrivistes hypocrites : la morale de la
vie. ». Les Anarchistes considèrent que l’éducation n’est pas que
scolaire, et insistent par conséquent sur l’éducation extra-scolaire,
familiale.
1932
Le C.D.S. se réunit
exceptionnellement pour préparer l’organisation de la contre-manifestation d’un
meeting d’extrême-droite, une conférence intitulée «le désarmement contre la
paix » prévue pour le 6 janvier. René Martin propose l’obstruction
brutale, Jules Le Gall (le président du CDS) suggère de faire stationner la
foule place de la Liberté en vue d’une entrée en force dans la salle de Luna
Park. Après diverses propositions, c’est Jules Le Gall et des antimilitaristes
qui organisent la manifestation. Un tract appelle la population à se réunir à
«5h 30 au plus tard ». Le 6 janvier, 150 personnes munies d’invitations se
trouvent déjà présentes quand, vers 17h40, une vingtaine de libertaires menés
par Treguier entre grâce à de fausses cartes d’invitation en criant «A bas la
guerre ! » De nombreux contre-manifestants suivent en chantant
l’Internationale, les autres aux cris de «Assassins ! Buveurs de
sang ! Traîneurs de sabres ! ». Une foule d’un millier
d’ouvriers notamment de l’Arsenal se tient aux portes voulant entrer. Les
portes sont ouvertes et 600 contre-manifestants pénètrent dans la salle tandis
que les organisateurs sortent par une porte dérobée. Maîtres de la salle, les
manifestants occupent la tribune. Cette méthode ayant fait ses preuves, elle
permit encore l’annulation de plusieurs meetings d’extrême-droite, les
militants s’immisçant parmi les auditeurs et provoquant leur départ par tapages
et bagarres.
René Lochu écrit
dans Libertaires, mes compagnons de Brest
et d’ailleurs : « La semaine
suivante le Canard Enchaîné annonçait
en gros caractères : « Demandez la méthode brestoise, le nettoyage
par le vide ! ». A Kerhuon, il y eut encore une escarmouche sans
grande importance avec les Croix de Feu, mais tout rentra dans l’ordre, les
‘tits zefs’ avaient eu le dernier mot. »
Ces années-là, René
Martin écrivit une pièce de théâtre anticléricale Retour des bancs. Jules Le Gall se mit aussi à écrire « L’interdit », drame social, et une
revue « Manant !Voici le
soleil ». Lochu écrivit « Sur
la route ingrate » et « Les
Racoleurs » une pièce anticléricale. René Lochu se souvient de
l’interprétation de cette pièce au patronage laïque de Pont-L’Abbé, cette pièce
fuit suivie d’une autre pièce anticléricale « La pieuvre ». Elle fut
aussi jouée à Lesconil, petit port de pêche bigouden. Le théâtre du peuple de
Brest jouait alors dans de nombreuses petites communes du Finistère
1934
Le dernier numéro du Flambeau paraît le 5 décembre.
1935
En juillet, le
gouvernement de Laval promulgue les décrets de la misère. René Lochu se souvient :
« Réunions et manifestations de rues de plus en plus houleuses se
succédaient quand, le lundi 5 août, les ouvriers du port de Brest virent sur
leur bordereau de salaires leur paye amputée de 5 à 10 %. Immédiatement et cela
se conçoit, un vif mécontentement se manifesta dans tous les ateliers.(…) Le
lendemain, 6 août , Brest va vivre des heures tragiques dont les anciens
n’ont certainement pas perdu le souvenir. En arrivant sur les lieux de travail,
les ouvriers trouvent l’arsenal occupé par plusieurs pelotons de garde-mobiles,
des gendarmes départementaux mobilisés à travers la région , et concentrés sur
Brest, des gendarmes maritimes et la troupe coloniale. Devant ce déploiement de
forces, les 150 à 200 ouvriers travaillant sur le cuirassé Dunkerque alors en
construction, refusent de travailler sous la contrainte, et, suivis de leurs
camarades des ateliers voisins, se regroupent autour du bassin. » La
situation va s’aggraver quand une bagarre se déclenche entre ouvriers et forces
de l’ordre, lesquelles n’hésiteront pas à charger sur la foule. Le bilan est
lourd : plusieurs ouvriers sont blessés; il y aura un mort parmi les
ouvriers. La colère des manifestants ne se fait pas attendre, dans
l’après-midi, ils remontent dans le quartier Saint-Martin, ils sont attendus
par les gendarmes avec un car de police. Immédiatement cerné par les
manifestants, le car se retrouve roues en l’air avec tout son chargement. De
nombreux ouvriers rejoignent le cortège qui se dirige vers la gare pour bloquer
l’express de Paris. Ainsi se déroula cette triste journée, dont le bilan fut
lourd, près de 200 blessés dont 150 du côté des manifestants, et deux morts.